Il m’arrive parfois de recevoir en consultation des personnes se disant rancunières et trouvant parfaitement légitime de rester fâché contre quelqu’un qui leur a fait du mal, qui n’a pas répondu à leurs attentes, leurs besoins, qui n’a pas respecté leurs valeurs… 

Alors, qu’en penser ? Qui souffre le plus de cette rancune ? Est-ce constructif ? Sinon, pourquoi ?

 

L’EXEMPLE VÉCU 

Prenons une situation de la vie courante : Il est arrivé à plusieurs reprises à Félix de sortir avec ses amis en ne prévenant Suzie que le matin-même de la sortie prévue. Suzie, contrariée par cette attitude, a demandé à Félix de la prévenir plus tôt, et a même précisé qu’elle tenait à en être informée au plus tard la veille, ce à quoi Félix a consenti. Quelques jours plus tard, la situation se présente et Félix, comme à son habitude, n’avertit Suzie qu’au moment de son départ. Suzie a pourtant été claire… Et Félix n’a pas tenu ses engagements. Suzie ronge son frein toute la soirée. Félix a bien dit qu’il était désolé d’avoir oublié de la prévenir plus tôt mais elle garde de la rancune. Les jours passent et Suzie nourrit son aigreur, battant froid et attendant le moment où elle pourrait lui faire comprendre son agacement par la vengeance. 

Vient le jour où Suzie prévoit de sortir, mais elle se garde bien de prévenir Félix à l’avance et s’ingénie à attendre la dernière minute pour mettre Félix devant le fait accompli : « Je sors ! Je vais voir mes copines ! ». Félix est surpris : « Ah!… Je ne savais pas… bon, ok. Bonne soirée alors ! À tout à l’heure, ma chérie ! ».

Suzie est éberluée. Elle pensait faire mouche mais il semble que ça n’affecte pas Félix de la même façon. Félix ne ressent pas la nécessité d’être prévenu à l’avance, contrairement à Suzie. Ils sont différents. Le fait que Félix n’en soit pas affecté rend Suzie encore plus enragée : là où elle comptait faire son petit effet, ça fait un flop. Déçue, la voilà encore plus rancunière envers Félix, trouvant légitime de rester fâchée contre son homme qui ne respecte ni ses besoins à elle, ni ses engagements à lui. Eh oui… Que faire ? 

 

LA RANCUNE  

La rancune est le sentiment d’animosité tenace souvent accompagné du désir de vengeance, que l’on garde envers quelqu’un dont on estime avoir subi une offense, ou un préjudice. 

Lorsque l’on a des raisons d’être en colère contre quelqu’un, c’est que nous avons quelque chose à lui demander afin qu’il adapte son comportement en fonction de nous-même. Faire une demande claire à l’autre est la façon la plus optimisée d’obtenir satisfaction. Ni plainte, ni souhait mais bien demande claire ! 

Si la réponse de cette personne est « non, je ne ferai pas ce que tu me demandes » ou encore « oui, ok » mais qu’elle ne le fait pas ensuite, il est bien compréhensible de sentir un éclair de colère pointer le bout de son nez, mais que faire de cette colère ? Nul n’a le pouvoir de changer quelqu’un d’autre selon son propre bon vouloir. Mais nourrir de la rancune est une option tellement nocive…  

On le voit dans l’exemple de Félix et Suzie. Finalement, c’est elle qui souffre bien plus de la situation que Félix. Suzie est remplie d’amertume, cette contrariété accapare ses pensées, elle rumine, est de mauvaise humeur et risque d’affecter d’autres personnes de son entourage avec ses sentiments désagréables. Et ceci ne va pas changer Félix pour autant. 

La rancune est, sans aucun doute, l’option la plus nocive, la plus destructrice, la plus usante pour celui qui la ressent. En étant rancunier, vous vous enchaînez à la colère. Vous entretenez en vous une fréquence émotionnelle basse qui, tôt ou tard, finira par vous nuire. 

La rancune vous rend aigri, amer, désagréable et va même jusqu’à abîmer votre santé : des sentiments désagréables et de longue durée vous font sécréter des hormones (neuropeptides) qui vont, petit à petit, agir sur votre moral puis sur votre immunité, et donc sur votre santé.

 

 

UNE PISTE DE SOLUTION

Nul ne peut changer l’autre sans son accord, explicite ou implicite.

Lorsque l’on a fait une demande claire auprès de quelqu’un pour que cette personne adapte son comportement et qu’elle refuse de le faire (et telle est sa liberté, d’ailleurs), que nous reste-t-il ?

Si le comportement délibérément choisi par l’autre va à l’encontre de nos besoins, de nos valeurs ou de nos envies, il nous reste, plutôt qu’à nourrir de la rancune, à renoncer à quelque chose. 

Nous avons la liberté de faire le deuil de ce à quoi nous aspirions. Faire un deuil revient à s’habituer à une situation nouvelle, dans laquelle ce à quoi nous tenions n’est plus là.

Vite dit, mais pas vite fait ! Ce n’est pas chose facile de faire un deuil : plus l’attachement à ce à quoi nous devons renoncer est fort, plus le deuil sera long et douloureux.

Mais notre faculté d’ouverture à de nouvelles perspectives favorise ce processus de deuil et nous permet de nous adapter plus rapidement à la nouvelle situation.

 

RECONQUÉRIR SA LIBERTÉ

Alors, sachant que Suzie n’a pas le pouvoir de changer Félix s’il ne l’a pas voulu, à quoi peut-elle renoncer pour reconquérir sa liberté ? Quelles options a-t-elle pour être libérée de sa rancune qui ne porte préjudice qu’à elle-même ?

Suzie peut, par exemple, renoncer au confort que représentait le fait d’être prévenue à l’avance. Elle peut apprendre à s’adapter plus rapidement à ce changement de programme, sachant par exemple qu’elle a, par ailleurs, le respect et l’amour de Félix.

Si ce genre de situation est vraiment invivable pour Suzie, peut-être devra-t-elle renoncer à la relation avec Félix, sachant que celui-ci ne s’engagera pas à la prévenir à l’avance. Faire le deuil de la relation, aussi douloureux soit-il, lui ramènera un jour le confort de ne plus être exposée à ces mises sur le fait accompli.

Ou peut-être lui faudra-t-il  renoncer à éviter la confrontation avec Félix. Le choix qui s’impose est alors de faire la révolution dans son couple pour tenter de faire passer à l’autre le message de l’importance que ça a pour elle d’être prévenue à l’avance.

Les deuils face à nos frustrations sont le moyen que nous avons de reconquérir notre pouvoir lorsque l’on est dans l’impossibilité de changer une situation. L’adaptation à l’environnement et au changement est notre faculté de rester fonctionnel, équilibré et heureux.

Telle la citation : « Donnez-moi la sérénité d’accepter ce que je ne peux changer, le courage de changer ce qui peut l’être, et la sagesse de distinguer l’un de l’autre ».

À bon entendeur, chers rancuniers…

 

 

Alice de Duve, psychologue et formatrice

Estime de soi – Émotions – Relations saines –  Désir de vivre